Ce numéro de Filigrane est constitué de la seconde partie du dossier «Psychanalyse hors cadre?» S’y retrouvent d’abord les textes du col- loque montréalais, éponyme, réalisé en format hybride en novembre 2021.

Albert Ciccone, Josée Leclerc, puis Réal Laperrière et Eveline Gagnon y abordent à tour de rôle la complexe notion de cadre psychanalytique. Les lecteurs pourront y découvrir des considérations fondamentales sur la posi- tion psychanalytique, puis la présentation de deux dispositifs psychanaly- tiques: la médiation artistique en psychothérapie, et la psychothérapie de groupe avec les enfants.

Puis, dans la foulée de l’actualité planétaire des dernières années, Martin Gauthier propose un article qui témoigne des défis relatifs au maintien d’un cadre psychanalytique à distance. Katia Tarouquella Brasil et ses collègues partagent ensuite leur expérience d’une clinique psychanalytique sociale- ment impliquée, offerte dans l’espace urbain de la ville de Brasília, capitale du Brésil. Ce dossier se conclut avec un article d’Irène Krymko-Bleton qui présente La Maison buissonnière, une initiative montréalaise inspirée des enseignements de Françoise Dolto.

Ce numéro se termine par deux articles de la rubrique « Psychanalyse à l’université » qui témoignent de la clinique des troubles relationnels pré- coces. Alors qu’Olivier Didier déploie une élaboration théorique relative au développement du trouble de la personnalité limite, Antoine Asselin et Miguel M. Terradas partagent leur expérience de la psychothérapie par le jeu auprès d’enfants victimes de traumatismes relationnels précoces.

Sophie Gilbert
pour le comité de rédaction

Ce numéro s’amorce avec les articles inspirés de l’argumentaire intitulé « Psychanalyse hors cadre ? » – à commencer par un texte réflexif de Denise Pronovost relatant sa propre rencontre avec la psychanalyse.

Tel que l’argumentaire en fait état, il apparait plus que pertinent de questionner la notion de cadre, non seulement en lien avec la popularité actuelle et imposée de la télépratique – à la suite de la pandémie de COVI-19 apparue après la rédaction de cet argumentaire – mais également en raison de la multiplication des différents dispositifs psychanalytiques qui ne sont pas sans impacter une quelconque certitude relative aux « fondamentaux » d’une approche psychanalytique. Qu’il s’agisse de la surprise relative à la rencontre « en acte » d’une dyade mère-nourrisson généreusement discutée par Pascale Gustin du point de vue de la répétition dans le transfert, ou des aléas des suivis auprès d’une population immigrante fortement précarisée, richement contextualisée par Sylvie Quesemand Zucca, la question du cadre psychanalytique se pose et ne peut faire abstraction du contexte planétaire actuel. Elle se pose tout autant lors de la rencontre « chemin faisant » d’une souffrance à fleur de peau, dont l’écoute psychanalytique autorise le déploiement, habilement relatée par Riadh Ben Rejeb. Finalement, la façon, abordée par Luc Magnenat, de comprendre les réactions singulières de patients à une réalité (environnementale, pandémique) dont nous sommes tous partie prenante, amène à se demander : quelle posture pour le psy intimement lié à la problématique révélée ?

La seconde partie du dossier est composée des textes de conférences ayant eu lieu à la Société de psychanalyse de Montréal. Élyse Michon aborde les enjeux relatifs à la téléanalyse en temps de pandémie, alors que David Benhaïm réfléchit à la large question de l’omniprésence du virtuel à notre époque.

Ce dossier thématique est suivi d’une nouvelle rubrique : La voix de la relève. Il s’agit ici d’articles dont les autrices et auteurs ont été récompensés à la suite de leur participation au concours de rédaction d’articles psychanalytiques par la relève. Cette idée de Vincent Cardinal (APPQ) a pris forme à travers une collaboration entre la revue Filigrane, l’Association des psychothérapeutes psychanalytiques du Québec, la Société psychanalytique de Montréal, la Société psychanalytique de Québec, et la Quebec English Branch de la Société canadienne de psychanalyse.
Quatre articles forts différents, mais tout aussi pertinents pour la pensée psychanalytique d’aujourd’hui, qui nous montrent que, malgré les aprioris, la relève est bien présente dans le milieu psychanalytique. Est présenté d’abord l’article ayant reçu le premier prix, ici dans sa version française; Inês Faro y questionne, à partir des écrits de Bion et de Doubrovsky, la large question de la rencontre entre le récit de soi, l’histoire personnelle, et l’expérience analytique. Puis, le second prix, ex-aequo, a été accordé à un article inspiré du film Melancholia et rédigé par Catherine Mousseu, qui nous ramène aux considérations actuelles, tributaires de la pandémie, quant à la finitude de l’humanité, le tout développé sous l’angle de la pulsion. La seconde place a été également accordé à Raphaël Bell Rouillard qui explore l’abord de la mémoire en psychanalyse et son lien avec la notion de vérité. Finalement, le thème de la symbolisation est revisité par Étienne Pelletier, sous l’angle de l’appropriation subjective.

Ce numéro s’achève avec un article de la rubrique Hétéros. Rachel Briand-Malenfant élabore sur la place de la rêverie et des repères dans la psychanalyse d’enfants; un article qui aurait pu, et pourrait de nouveau nous ramener, à la question de ce qui fait ou non cadre, en clinique psychanalytique.

 

Sophie Gilbert

Pour la revue Filigrane

Description à venir

Ce numéro débute par le premier volet du dossier « L’empire du faux », thématique au cœur de notre plus récent colloque, tenu à l’automne 2019. L’argumentaire à l’origine de l’événement, et qui figure en guise d’introduction, expose quelques-unes des nombreuses ramifications du faux, en allant des questions ontologiques aux enjeux épistémologiques, en passant par les phénomènes de désaveu, de dissimulation et de désinformation, sans oublier la « vérité » des patients, que celle-ci soit ou non sciemment voilée.

Le dossier prend son envol avec deux articles de François Richard, tête d’affiche du colloque. Dans le premier, Fabrication du mensonge, l’auteur s’attarde aux fondements paranoïaques-pervers du complotisme tel qu’on le retrouve dans notre culture contemporaine. Il en ressort le constat troublant d’une profonde crise de l’autorité, qu’elle soit politique, religieuse ou autre. Dans le second, Psychanalyse du faux, François Richard partage son expérience du traitement de personnes présentant des problématiques complotistes. Il insiste notamment sur la déstabilisation du thérapeute face à de tels patients, laquelle, conséquemment, compromet la capacité à fournir un accueil neutre et bienveillant à ces derniers.

Par la suite, Élyse Michon, elle aussi conférencière de notre colloque, nous transporte dans les remous tumultueux des rapports transférentiels et contre-transférentiels. Son texte, Le transfert. Le vrai, le faux et l’illusion véridique, traite entre autres du caractère de véracité de l’amour de transfert, sujet rarement discuté de par les tabous qui l’accompagnent. L’auteure met en perspective la conception de Freud et celle de Laplanche quant à l’inconscient et ce qui induit le transfert. Elle souligne l’exigence éthique qui incombe à l’analyste face à un possible abus de pouvoir.

Pour clore ce dossier thématique, Étienne Pelletier offre une réflexion intitulée D’un dire faux qui ne serait pas du mensonge. Mentir et se faire mentir à la lumière de la clinique des psychoses. L’auteur nous amène à réfléchir aux extrémités de la parole – sa racine et son effet – en illustrant la dichotomie possible entre les deux. Éviter de déduire la présence d’une intention mensongère constitue non seulement une nécessité clinique et éthique, mais aussi un défi de taille lorsque la personne qui écoute se sent délibérément trompée.

La rubrique Hétéros s’ouvre sur Le dessin et la psychothérapie d’enfants présentant des vulnérabilités de nature psychotique : illustration clinique, texte de Miguel M. Terradas, Antoine Asselin et David Poulin-Latulippe. Le dessin y apparaît comme l’assise d’un langage d’une grande valeur puisqu’il permet la liaison entre le contenu graphique, l’enfant et le thérapeute, palliant ainsi les difficultés d’élaboration par la parole. Au moyen d’exemples tirés de la clinique, l’usage pouvant être fait des dessins d’enfants dans le cadre d’une évaluation et d’une psychothérapie est décrit.

Mères-bébés : une histoire à co-construire, de Valérie Lamontagne, vient compléter la présente rubrique en discutant de concepts théoriques en lien avec le deuil développemental et le conflit de la parentalité se rapportant aux psychothérapies mères-bébés, telles qu’élaborées par Bertrand Cramer et Francisco Palacio-Espasa. La présentation d’un cas clinique étaye le propos.

Dans la rubrique Psychanalyse à l’université figure Le traumatisme psychique d’une naissance prématurée chez l’enfant : une revue de littérature réflexive, de Mélissa Lord-Gauthier. Cette dernière met en évidence le rôle possible du traumatisme de la naissance et de l’hospitalisation dans la survenue de séquelles neurodéveloppementales. Elle discute également des interventions qui visent à atténuer les effets nuisibles de ce traumatisme.

Le présent numéro se termine par une recension de l’ouvrage de Francis Levasseur, L’espace de la relation : essai sur les bureaux de psychologue, paru cette année aux éditions Varia. Véronique Lussier souligne notamment l’originalité de la réflexion de l’auteur et de sa démarche, alors que le sujet du cadre spatial est pourtant au nombre des composantes essentielles du travail clinique.

 

 

Ce numéro de Filigrane comporte la seconde partie du dossier « Identités2 Qui suis-je ? ». Y apparaissent des textes qui offrent des points de vue inusités sur la vaste et controversée question du genre. Ces articles sont signés par des auteurs qui, à partir de leur pratique clinique, ont poussé la réflexion plus loin que la tentative de théorisation à partir des repères classiques  psychanalytiques à ce niveau.

D’abord, Nicolas Evzonas évoque certains enjeux du contre-transfert dans la rencontre avec des patients trans. Au-delà de l’expérience sing lière de la dyade analytique se dévoile, en arrière-plan, le contexte socio- culturel, voire politique qui tend à teinter, malgré lui, le regard du clinicien d’aujourd’hui.

Guillemine Chaudoye aborde quant à elle la question de l’identité, en lien avec un dispositif sans doute trop peu souvent utilisée : le psychodrame. Le lecteur y découvre notamment la fertilité de cette pratique médiatisée, qui interpelle le corps et la fantasmatique qui s’y rattache, dans un cas où le patient est atteint du VIH.

Par une lecture attentive de la littérature psychanalytique sur les transitions de genre, Fanny Chevalier élabore ensuite des hypothèses relatives au peu d’attention dont a bénéficié la transition female-to-male, en comparai- son à la transition male-to-female. La psychanalyse serait-elle genrée ? Il n’est pas anodin, justement, que le cas présenté par Stefano Monzani témoigne de la dysphorie de genre à la lumière du féminin et du maternel, en plus de la relation primitive mère-enfant.

Bref, ce dossier se conclut non seulement sur des élaborations théorico- cliniques fertiles pour la clinique, mais aussi, des questionnements nouveaux, à poursuivre, dans la visée d’une psychanalyse toujours davantage connectée sur les sociétés, les cultures, l’actualité clinique et sociétale.

Dans un second temps, ce numéro nous ramène avec grand plaisir la tribune « Entrevues ». Wilfrid Reid – qui nous avait offert en 2008 deux riches textes sur ses récentes élaborations théoriques – dévoile généreusement son parcours, au micro de Pierre Joly. Dans cet article issu de l’entretien initial, les repères théoriques chers à ce grand psychanalyste sont articulés avec sa trajectoire unique de formation, d’expériences cliniques, d’élaborations théoriques et d’écriture.

La rubrique «Hétéros» donne la voix à une diversité d’auteurs. Wael Garnaoui y aborde une réalité peu connue, en particulier du point de vue psychanalytique : celle des Hargas, dont il questionne la complexité du lien à la figure maternelle. Cet article propose un heureux métissage entre enjeux culturels et développement psychique.

Les deux articles suivants démontrent une fois de plus la valeur heuristique des études de cas cliniques. Martin Gauthier illustre par les aléas de la rencontre intersubjective dans la cure, l’impact des nouvelles technologies sur l’espace de la rencontre, ou en d’autres termes, sur l’espace psy- chique intérieur tel qu’il se noue avec l’espace relationnel thérapeutique. Finalement, le texte d’Anne Boisseuil nous ramène à interroger le féminin et le maternel, sous l’angle singulier de l’interférence de la grossesse de la thérapeute dans le suivi d’une jeune fille et de sa mère.

Ce numéro se conclut avec deux articles de la rubrique «Psychanalyse à l’université ». Un premier article signé par David Smolak et Louis Brunet, aborde une recherche menée auprès d’aidants humanitaires, en mettant de l’avant l’importance d’un cadre métacontenant propre à l’élaboration par ceux-ci des traumatismes auxquels ils sont confrontés. Pour conclure ce numéro, dans un style bien personnel, Eveline Gagnon relate sa démarche de recherche qualitative, où elle a su intégrer une perspective psychanalytique originale, et procéder de la métaphore à la théorisation du Soi.

S’il y a un fil conducteur à l’ensemble de ce numéro pourtant varié, c’est bien la question de l’enjeu essentiellement humain de la différenciation (pour être, pour se construire une identité propre, un Soi, un espace…), et ce faisant, du maternel ; en ce sens, oui, la psychanalyse serait genrée, mais n’est-ce pas là tout un pan de son humanité profonde ?

Sophie Gilbert
Rédactrice en chef

Si pour les élèves du primaire, l’apprentissage de la langue française confirme jusqu’à ce jour qu’il n’y a de genres que le féminin et le masculin, avant même d’avoir franchi le seuil de l’école secondaire, nos jeunes tendent désormais à se situer dans une multiplication des identités et orientations sexuelles. La clinique adolescente le confirme : aucun flottement n’est toléré, et ces définitions précèdent souvent de loin l’abord et parfois même, la simple fantaisie de l’acte sexuel. On se demande s’il n’y a pas ici ratage d’une double rencontre : la rencontre de soi comme celle de l’altérité quelle qu’elle soit, mais surtout, la possibilité de supporter le non-savoir qui éventuellement aboutira à une identité, si ce n’est définitive, à tout le moins confortable. Et si cette obligation à se situer, à circonscrire le genre, aussi fertile ait pu être son élaboration première, tendait à refermer une question qu’on espérait désormais ouverte, à stigmatiser davantage qu’à relier?

Tout se passe comme si le simple mot genre, lorsqu’il signifie un au-delà de la dualité qu’on lui connaissait jusqu’alors, crée autant de remous chez nos jeunes que de malaise (malêtre?) chez les cliniciens.

Étymologiquement, le mot genre réfère à une catégorie. Du reste, il est intéressant de noter que son usage dans la lange orale, au Québec, est venu ponctuer pour toute une génération (ou même plusieurs) les phrases des ados, des jeunes et des « moins jeunes », de façon à signifier une modulation du propos précédent – comme si l’on disait constamment, à la fin d’une assertion peu importe laquelle : « ce n’est pas tout à fait ça ». Ce pas tout à fait, associé à l’étymologie, rappelle fort justement les limites de toute tentative de catégorisation. En d’autres termes, cet entendement du « genre » met en exergue ce qui fait (et fera sans doute) toujours défaut dans la question identitaire abordée sous l’angle d’une classification, ce en quoi chacun est d’abord « un » et jamais tout à fait comme l’autre. Ici, la référence au « trait unaire » lacanien est bien sûr inspirante, dans sa façon d’articuler l’unicité identitaire avec la différence, l’altérité. Parler de genre, c’est donc d’emblée introduire la question de l’identité, voire des identités, mais aussi de l’autre, de l’altérité, et de la différence.

Intitulé « Identités:  Qui suis-je? », le colloque de l’automne 2018 de la revue Filigrane a proposé une rencontre entre différents cliniciens, réunis par leur intérêt commun pour la remise en question actuelle de la notion d’identité sexuelle. L’expérience de ce colloque entrera dans les annales de la revue pour plusieurs raisons. L’une d’elle tient en la difficulté à initier un véritable dialogue, des échanges heuristiques à partir des controversées thématiques de l’identité sexuelle et du genre. À la lumière du propos précédent, l’on pourrait mettre en cause la propension possiblement vouée à l’échec de catégoriser les identités. Plus encore, en référence à l’expérience, relevée ci-dessus, de la clinique adolescente, l’on peut se demander à quel point cette tentative de catégoriser, malgré le désir de soutenir l’ouverture à tout un chacun, a un effet pervers de fermeture (de « forclusion »?) de la question identitaire par le point final qui en découle. Ces arguments pourraient sans doute expliquer, théoriquement, l’impasse dans laquelle se sont retrouvés, malgré le bon vouloir des organisateurs, nos cliniciens invités. Chacun a su parler du genre en référence à son allégeance théorique et son expérience clinique; toutefois, peu de résonances ont su être relevées entre les entendements (forcément sous-tendus par des catégories explicites ou implicites) proposés, et chaque élaboration, aussi riche fut-elle, semble avoir été ponctuée d’un point final.

La psychanalyse, on l’a bien vu les dernières années par une multiplication du nombre de publications sur ce thème, a bien voulu si ce n’est intégrer le genre en tant que concept, du moins tenter de l’approcher avec des concepts fondamentaux dont bien sûr la bisexualité psychique demeure au premier plan. Reste que lorsqu’il est question de mettre au travail ce thème, en lien avec certaines expériences cliniques, la rencontre de l’autre demeure difficile, quoique désirée [1].

Plus précisément, dans le cadre du colloque de la revue Filigrane, l’inconscient s’est heurté, de plein fouet dirais-je, au roc de La Réalité. A priori, il semble que tous les participants, conférenciers ou auditeurs, se référaient à un même paradigme, constructiviste, et à la notion de réalité psychique, voire même, à l’existence de l’inconscient. Pourtant, l’on pourrait penser que l’inconscient de ces hommes ou femmes qui souhaitent explorer une autre image de soi, un soi plus conforme à leur intériorité, ait à certains moments été éludé. Ce faisant, concepts de conflits psychiques, de transmission générationnelle, pour ne nommer que ceux-là, n’étaient pas toujours au rendez-vous : l’individu était considéré à son niveau conscient, selon « son point de vue » (aconflictuel?). Si l’autre était interpellé, c’était essentiellement pour signifier son manque de tolérance à la différence. Un argument, soit dit en passant, fondamental en ce qui concerne les personnes trans et la stigmatisation dont elles sont victimes!

D’un autre côté, il semble que l’analyse en profondeur, le point de vue intrapsychique, rende périlleux le dialogue avec une réalité particulièrement insistante chez les personnes trans car liée à un prégnant malêtre. Peut-on parfois, sous prétexte d’une compréhension exhaustive des enjeux intrapsychiques, représenter malgré soi cet autre craint, car insuffisamment sensible à la souffrance au quotidien, fut-elle narcissique et identitaire [2]?

Un autre niveau d’analyse de cette non-rencontre nous amène à poser les questions suivantes. Serait-il possible que plus l’on arrive à se distancier (défensivement ou après analyse personnelle?) des enjeux identitaires fondamentaux incarnés par les personnes trans, plus l’on peut soutenir une théorisation de la dynamique psychique de (et pas toujours avec) ceux-ci? À l’inverse, plus on s’identifierait à cette souffrance identitaire, plus l’on connecterait avec ce malêtre (profondément humain, l’identité n’est-elle pas le travail d’une vie?), et plus l’on chercherait à répondre à cette souffrance qui rejoint l’humain dans ses plus profonds soubassements, en interpellant non seulement le sujet souffrant mais également le social auquel il est durement confronté?

Jacques André nous rappelle combien l’accession au langage a transformé l’animal en nous. Mais il y a un prix à payer à cette désignation, le genre, toujours imparfaite, à la fois teintée d’enjeux sociopolitiques, de la culture, et de la complexité du développement psychique du sujet. Les cliniciens-auteurs qui ont répondu à notre argumentaire dans ces deux numéros thématiques de Filigrane se sont unanimement, quoique de façon distincte, montrés sensibles à cette complexité inhérente à la notion de genre, mais aussi à la diversité à la fois phénoménologique et conceptuelle de la notion plurielle d’identité. Chacun pourra se demander, au fil de sa lecture, comment ouvrir un véritable dialogue entre considérations psychiques et socioculturelles, entre le sujet et l’altérité, entre dynamique inconsciente et vécu subjectif.

***

Le dossier thématique s’inaugure par une introduction proposée par Alexandre L’Archevêque (membre du comité de rédaction de la revue Filigrane), qui a servi d’argumentaire à l’ensemble de nos auteurs. La suite de cette première partie du dossier fait place à une majorité des conférences proposées lors du colloque. La conférence d’ouverture signée par Jacques André aborde d’un point de vue théorique le caractère distinct de la perspective psychanalytique sur le genre, notamment de par son incontournable référence à l’inconscient. Le généreux commentaire proposé par Dominique Scarfone (discutant de cette conférence) est ensuite présenté, permettant d’affiner la réflexion sur certains thèmes fondamentaux tels le sexuel infantile et le déterminisme inconscient. Le texte de la seconde conférence de Jacques André aborde ensuite de front le concept de bisexualité psychique à la lumière de vignettes cliniques. Pour clore cette première partie du dossier, la riche complémentarité offerte par la perspective phénoménologique est introduite par Denise Médico, clinicienne et chercheure d’expérience auprès des populations trans.

La rubrique Hétéros amène les lecteurs sur un autre terrain, celui des violences sexuelles à l’adolescence. Pascal Roman illustre son propos sur les enjeux narcissiques et identitaires inhérents à cette violence par une vignette clinique étoffée.

Puis, dans la rubrique Échos, deux courts textes rédigés par Domique Scarfone revisitent de façon originale deux concepts phares pour la psychanalyse : l’inconscient et le statut du savoir.

En terminant, ce numéro fait place à trois articles rédigés par des professeurs de la section psychodynamique du Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Ces articles donnent un aperçu de la diversité des points de vue et des travaux d’orientation psychanalytique de ce département qui se démarque par un important contingent de professeurs de cette allégeance. Louis Brunet formalise ici le travail d’une réflexion extensive sur le statut de la psychothérapie d’orientation psychanalytique, Irène Krymko-Bleton aborde la méthodologie de recherche qu’elle a développée dans une perspective psychanalytique inspirée de la linguistique, et finalement, Marie Hazan lève le voile sur une facette méconnue de la vie d’Anna Freud.

Sophie Gilbert

[1] À noter qu’à l’image du colloque de la Revue Filigrane, le Congrès des psychanalystes de langue française de 2019 faisait place également à d’autres disciplines.

 

[2] J’utilise à dessein ce terme ici, afin de désigner le lieu où s’inscrit le malêtre dont il est question. Ce faisant, l’on peut entrevoir de nouveau une source de malentendu. De fait, la souffrance narcissique-identitaire a un entendement bien précis en psychanalyse, notamment à la suite de Roussillon. Comment peut-on témoigner de ce lien, sans plaquer une compréhension pré-formatée sur l’expérience des personnes trans?