Après avoir rappelé la tentative de réaménagement psychique que peut représenter le recours à l’acte de fuguer, cet article propose une lecture de la trajectoire adolescente marquée par ce type d’expérience. La psychothérapie de Sophie, qui s’est déroulée sur une quinzaine d’années, autorise une observation en après-coup d’une trajectoire de fugue adolescente. Il pourrait être tentant de parler ici d’une forme de résilience. Toutefois, il apparait plus juste d’évoquer l’accès à une « relativement bonne adaptation sociale » sur des personnalités restées en souffrance, au bord de décompensations, au-delà de leur adaptation. La discussion porte sur les effets positifs ou délétères d’un tel recours à l’acte, en insistant sur la différence fugue/errance ainsi que sur l’intérêt de la psychothérapie d’inspiration analytique dans l’après-coup de tels contextes extrêmes, à forte occurrence limite.

Le travail de supervision amène le constat que de plus en plus de cliniciens éprouvent un malaise profond face à la pertinence de leur profession. Nous appellerons désœuvrement clinique cette succession d’états (par exemple fatigue, doutes, perplexité) pouvant culminer en une crise identitaire sur le plan professionnel, et pouvant faire l’objet d’une demande de supervision. Ce texte amorce une réflexion quant aux contributions du modèle scientifique-professionnel qui prévaut dans la formation en psychologie, et ses impacts sur le champ thérapeutique. En particulier, le message implicite selon lequel seul le fait empirique a de véritable valeur risque d’entraîner une recherche de certitude qui se veut rassurante. Cette vision se perpétue dans les milieux de pratique, publics notamment, au travers de la notion de données probantes. L’intolérance à l’incertitude et sa contrepartie, la conviction de la certitude, tant au plan organisationnel qu’individuel, entraînent des impacts psychiques délétères chez le clinicien. À son insu, ce dernier est aux prises avec le poids de ce qu’il imagine devoir savoir. Paradoxalement, sa recherche maîtrisée par la « connaissance des faits » risque d’entraîner un appauvrissement de sa capacité à penser de manière créative pour et avec le patient en psychothérapie.

Voici une contribution à un débat qui a cours actuellement, tout au moins dans le pré carré des psychothérapies au Québec, mais aussi partout où se pratique cette sorte d’intervention. D’aucuns s’y réclament des « données probantes » telles que définies par des critères scientifiques, selon une certaine acception du mot « science ». D’autres mettent l’accent, sans pour autant vouloir faire l’économie de la rigueur, sur l’aspect relationnel de l’acte psychothérapeutique. Les réflexions qui suivent tenteront d’aller à la racine de cette opposition, ou du moins à l’une d’entre elles. J’aurai recours pour ce travail à des penseurs préoccupés par la nature de la science et par l’effet de la pratique de celle-ci sur les deux grandes catégories d’objet : la nature et l’humain.

Le but du présent texte consiste à proposer une brève analyse du film The Pianist (2002) de Roman Polanski. Cette adaptation cinématographique tirée du récit d’un survivant – Wladyslaw Szpilman – nous apparaît comme le fruit d’une possible démarche de dissimulation demeurée, pour ainsi dire, inaperçue. En plus de servir Polanski, elle est également le prototype d’une rhétorique susceptible d’être employée par toute personne en position d’abuser autrui. Nous établirons deux distinctions essentielles : la première concerne les deux auteurs, celui du livre The Pianist et celui du film du même nom, chacun ayant sa motivation propre à partager un tel récit ; la deuxième porte sur Polanski et l’ensemble de son œuvre, et ce, en réfléchissant à la place à accorder à cette dernière alors que son auteur est la cible de diverses accusations d’inconduites sexuelles. Nous discuterons ensuite d’implications en lien avec le cancel culture et le révisionnisme historique.

Chaque fois que la réalité est gênante et difficile à accepter, il est banal aujourd’hui de la contester, de la qualifier de fausse en se plaçant aussitôt dans le registre de la vérité, venant occulter le sentiment d’irréalité et de fausse perception qui s’y trouve impliqué. Relire la lettre de Freud adressée à Romain Rolland en 1936, « Un trouble du souvenir sur l’Acropole », sous l’angle du sentiment du faux permet d’explorer ce qu’il en est d’une psyché placée sous l’effet d’un déni post-traumatique, à partir de la constitution d’un faux-moi interne. Des hypothèses pourront être ici avancées sur la question fraternelle qui est au cœur de cette « lettre au frère », ouvrant sur une interprétation portant sur l’infigurable archaïque, au-delà de celle que suggère Freud autour du complexe paternel. Si « rien n’est vrai, et donc tout est permis », comme on l’entend aujourd’hui, c’est bien que la question fraternelle se trouve aujourd’hui posée comme celle du meurtre banalisé.

Autour de l’exemple de Jean-Claude Romand, un Français ayant réussi à se faire passer pour un médecin chercheur à l’Organisation mondiale de la santé pendant plus de dix-huit ans, ce texte interroge les logiques inconscientes conduisant certains individus à ériger le mensonge en véritable manière d’être. Il est montré que, contrairement à ce qui a pu être écrit, lesdits « mythomanes » ne croient pas à leurs mensonges. Seuls leurs auditeurs y adhèreraient. Le sujet leur propose à cette fin un discours qui entre en résonance avec leurs attentes. Or, cette faculté à saisir ce que les autres désirent pour s’attirer leurs faveurs interroge. La capacité d’empathie extrême, quasi surhumaine, qui caractérise le fonctionnement psychique de ces sujets, apparaît comme étant le corollaire d’une immense précarité psychique. Totalement dépendants du lien à autrui, leur « talent » relationnel témoigne de l’existence d’une problématique narcissique aussi sévère qu’imperceptible. En retour, le mensonge, conçu comme un mécanisme de défense, les préserverait de la menace fantasmatique que leur ferait vivre un lien, dont ils auraient à la fois tout à attendre et tout à redouter.