L’auteur se propose d’établir un parallèle, dans sa double activité d’essayiste et de cotraductrice de Freud depuis 1970, entre deux types de traduction : la traduction d’une langue à une autre et la traduction en mots – effectuée dans le champ transférentiel et dans celui de l’écriture – de ce qui n’en disposait pas pour se dire. Une certaine analogie peut ainsi s’établir entre la traduction linguistique et celle du travail analytique dans la cure ou l’écriture, soit parce que les mots de l’original sont étrangers à cet autre qu’est le lecteur, soit parce que l’originel, transmis sans mots, doit trouver ses mots en présence de l’autre du transfert.

Contrairement à ce que pensent certains, l’Œdipe n’est pas dépassé, il a toujours cours pour les psychanalystes d’aujourd’hui. D’abord parce que la légende d’Œdipe prise par Freud comme mythe organisateur central de la psyché, n’est pas l’histoire d’un névrosé « classique », mais celle d’un enfant victime d’une tentative d’infanticide, puis traumatisé par un abandon, une adoption, et qui agit tous les fantasmes originaires (meurtre du père, séduction, retour incestueux au ventre maternel, castration) au lieu de les rêver, comme le font nos états-limites d’aujourd’hui. Ensuite parce que la psychanalyse, notre discipline, située au cœur des sciences humaines, entre biologie et anthropologie, peut élargir l’Œdipe à d’autres modèles anthropologiques que celui des familles patriarcales de la culture de Freud. Elle le peut en utilisant les composants primaires de l’Œdipe, les fantasmes originaires organisateurs qui le constituent et sous-tendent les formes et les pathologies collectives de notre civilisation actuelle (immigrations traumatiques, familles et parentalités précaires ou atypiques, toxicomanies,etc.). Celles-ci se retrouvent toutes incarnées dans les cas difficiles de notre temps, aux limites de la cure classique, voire au-delà de ses possibilités, si sa technique, comme sa métapsychologie, ne sont pas étendue dans des directions déjà pressenties par Freud lui-même. Tel est le défi que nous avons à relever, tandis qu’Œdipe, fuyant son malaise familial, « court toujours » d’Athènes à Thèbes, puis à Colone, et au-delà.

À travers la présentation d’une psychothérapie au long cours d’une patiente adolescente psychotique, l’auteure explicite son hypothèse : les pathologies narcissiques-identitaires sont rencontrées de plus en plus fréquemment dans la clinique quotidienne et questionnent les thérapeutes sur le dispositif de soins, ainsi que sur les références théoriques nécessaires et utilisées. Ces pathologies soulignent la nécessité d’un long travail préalable autour des processus primaires et du narcissisme, dans un temps premier souvent long avant de pouvoir accéder aux processus secondaires, à l’Œdipe et à son rôle organisateur.

L’impact de l’actuelle évolution technologique et sociale dans le domaine de la sexualité sur la scène intra psychique des individus a eu notamment pour effet d’introduire des modifications dans la façon dont un grand nombre de patients s’adresse au psychanalyste. Ce qui est attendu de ce dernier est qu’il fasse tenir ensemble, sans rien en interroger, leur revendication à une jouissance illimitée et une quête pathétique de recettes miracles censée être à même de pulvériser la vraie souffrance dont ils font état. L’hypothèse avancée serait que l’excitation afférente à la revendication de jouissance pourrait bien n’être qu’une défense érotisée contre l’emprise des pulsions de mort, qu’une absence de structuration œdipienne aurait laissée se déchaîner en roue libre.

Dans la clinique psychiatrique contemporaine, à l’ère du DSM IV et des guides de pratique, la référence à l’Œdipe et à l’étiologie psycho-sexuelle des symptômes névrotiques a été complètement abandonnée. Plusieurs courants psychanalytiques ont aussi perdu le tranchant de cette articulation centrale,essentielle à la démarcation entre névrose et psychose. À partir d’une relecture d’Œdipe à Colone, l’auteur tente ici un parallèle entre le destin malheureux des fils d’Œdipe dans la tragédie, Étéocle et Polynice, et celui de deux héritiers de Freud, Lacan et Reich, qui ont tous deux placé le sexuel au cœur de la science psychanalytique. Lacan a cerné le sexuel comme vecteur d’inscription du réel dans le processus de structuration symbolique du sujet ; il fut « excommunié »et encore maintenant sa contribution demeure largement incomprise et méconnue. Reich a prétendu que la résolution des symptômes névrotiques devait passer par le travail sur la cuirasse corporelle et même conduire à une révolution sexuelle ; il fut exclu par Freud lui-même puis est mort dans une prison américaine. N’est-il pas des plus actuels de revenir aujourd’hui sur leur contribution ?

La tendance est forte aujourd’hui, qui consiste à considérer le complexe d’Œdipe comme caractéristique des névroses, et à penser d’autres modalités de fonctionnements psychiques en termes exclusivement préœdipiens. Peut-on vraiment considérer que l’accès à l’œdipe soit réservé à certains et pas à d’autres ? Ou bien peut-on raisonnablement penser que, comme l’écrit Freud,« chaque nouvel arrivant dans le monde humain est mis en devoir » d’en venir à bout ? Dans cette perspective, ce sont les modes d’organisation et d’élaboration du complexe d’Œdipe, ses voies de résolution aussi, qui marqueront sa spécificité et ses différences : nous devrions alors admettre que les formes œdipiennes sont variables et singulières, qu’elles n’obéissent donc pas à un prototype. L’auteur propose, à partir de ce questionnement, un certain nombre de réflexions cliniques et métapsychologiques soutenant la nécessité de maintenir la référence au complexe d’Œdipe, et d’analyser ses articulations singulières avec le narcissisme et l’angoisse de perdre l’amour de la part de l’objet. Loin d’être exclusives, ces problématiques se conjuguent dans des configurations plurielles qui permettent de saisir les liens entre les différents registres de la psychosexualité.