À la lumière de multiples interventions réalisées à titre de pédopsychiatre d’orientation psychanalytique dans un Centre éducatif renforcé en France, cet article se propose d’analyser certains processus psychiques et identitaires en jeu chez les adolescents. Nous décrirons plus particulièrement les diverses composantes de la joute qui a souvent lieu dans le rapport entre clinicien et adolescents, en particulier lorsque ceux-ci sont issus de milieux immigrants et qu’ils ont commis déjà divers délits à caractère violent. Il semble au premier abord difficile de transposer l’expérience thérapeutique usuelle avec de tels adolescents, ce qui implique une attention particulière à leur histoire, qui comporte généralement des traumatismes relationnels précoces, notamment de négligence et de violence. On peut alors comprendre comment pour de tels jeunes l’extérieur apparaît plus protecteur que l’intérieur. En conséquence, pour faire place à la pensée chez eux, il faut savoir les sécuriser et les contenir en reconnaissant leur méfiance initiale, et surtout, à la lumière des travaux de Winnicott et de Bion, en suscitant une curiosité et une co-créativité.

La violence est partout présente. Elle est tantôt expression et affirmation de la vie et exerce alors un effet structurant sur la psyché ; tantôt elle est des tructrice, meurtrière ou potentiellement désubjectivante. Si la première est confinée dans un cadre défini que le droit est censé protéger et que la loi symbolique devrait circonscrire, la seconde est de nature transgressive et emprunte des formes multiples, non nécessairement spectaculaires. Elle est « meurtrielle » dans le sens où elle est un équivalent fantasmatique de meurtre. Cet article présente cinq exemples cliniques dans des registres différents : violence sans nom, violence extrême, violence défensive, violence régressive et violence culturelle.

Les réflexions qui suivent souhaitent questionner les processus en jeu dans notre rapport à la violence. De façon spontanée et presque nécessaire, nous considérons toujours que la violence éclate ailleurs, mais pas ici, du côté de notre humanité, comme si nous avions du mal à admettre que nous puissions également être habités de pulsions mortifères ou agressives. Devant les expressions collectives de la violence déshumanisante, qu’est-ce que notre discipline, occupée à l’analyse du singulier, a à dire ? Nous analyserons d’abord les modes de rejet ou de déni de la violence, qui sus- citent, comme ce fut le cas après les attentats contre Charlie Hebdo, la recréation d’une foule anonyme, suivant une forme d’uniformisation que la réalité virtuelle paraît accélérer. Ensuite, nous évoquerons l’absence de toute perlaboration après l’événement historique de la Shoah, événement qui se devait d’être oublié, sans quoi nous aurions été confrontés à la part d’inhumain qui nous habite. Enfin, pour conclure, nous nous demanderons si le rôle de la culture ne serait pas justement de faire une place à la reconnaissance et à l’assomption de l’autre en nous et à l’extérieur de nous.

Cherchant une œuvre d’art pour combler un mur inoccupé de sa mai- son, l’auteur rencontre une série de drapeaux associés à des groupes armés. Cette rencontre imprévue devient le lieu propice à un enchaînement d’impressions de l’ordre de l’inquiétante étrangeté. À travers un parcours qui la mène de la Bosnie à une sexualité féroce, en passant par l’œil automatique captant un terrible selfie, la violence du monde fait résonner une part d’inassimilable, aux limites de l’inti- mité. En même temps vient la tentation de se ressaisir partiellement, dans l’essai de comprendre ce qui arrive. L’auteur interroge alors l’origine des rêveries éveillées, y reconnaissant l’apport de l’autre. Il considère aussi le pulsionnel délié et la blessure identitaire, sous-jacents à plusieurs actes de violence. Les langues théorique et philosophique utilisées en ces circonstances demeurent néanmoins en conversation avec une expérience affective vivace, qui les relance constamment. Placée sous le signe du discours amoureux et de la préservation du sentiment, la présente écriture souhaite exprimer un mouvement de pensée, dans le courant duquel une langue intelligible trame avec des mots traumatiques. L’implantation d’une base vitale, d’un « drap-peau », a-t-elle rendu l’élaboration possible, transcendant la force d’at- traction qu’exerce la violence, sans en trahir toute l’intensité destructrice ?

Caractéristiques de notre époque, l’image immédiate, l’idée du village planétaire et la vision médiatique et mondialisée de notre environnement nous rendent de plus en plus mêlés au monde, au point que ici et là-bas s’interpénètrent et se contaminent. Dans ce monde, la violence externe est prégnante, mais elle fait peut-être écho à une violence interne. Dans ce registre, les cliniciens sont de plus en plus confrontés à des questions inédites dont il s’agit d’élaborer le sens, car le plus souvent la violence anéantit le recours à l’autre, tant le contexte traumatique s’impose massivement. À cet égard, dans la clinique des traumatismes intentionnels, il ne s’agit plus simplement d’aider le patient à subjectiver une expérience non intégrée, mais de construire avec ce dernier la manière dont il a été pensé et agi par son agresseur. Cela suppose enfin une préoccupation citoyenne chez le clinicien.

* Racine. Andromaque. Acte V, scène 5.

La modification du rapport à la spatialité et à la temporalité qui accompagne l’avènement des nouvelles technologies de télécommunication fait en sorte que, désormais, le corps occupe de plus en plus d’espace, tandis que l’existence d’une âme immatérielle est mise en doute. S’ensuit la nécessité de vivre au présent, à la fois source de plaisir et d’angoisse. En partant de l’origine du dualisme corps- esprit dans la philosophie occidentale et en passant par le paradigme monothéiste judéo-chrétien pour arriver au paradigme évolutionniste, nous verrons comment le bouleversement de notre compréhension du rapport entre corps et esprit peut avoir des incidences sur la clinique. Nous insisterons plus particulièrement sur le vacillement de la notion d’espoir. Sur cette base, et en évitant la terminologie habituelle (névrotique, état-limite, pervers, etc.), nous décrirons diverses dispositions envers la psychothérapie qui amènent à reconsidérer le rôle du clinicien. En effet, ce dernier, plutôt que de chercher à favoriser la levée du refoulement, pourrait parfois au contraire permettre celui-ci. Nous terminerons cette réflexion en discutant du coût psychique associé à l’« incarnation au présent », à l’absence d’un ailleurs métaphysique où se projeter, s’imaginer. En ce début du XXie siècle, comment poursuivre la quête de sens dans un monde vécu comme essentiellement matière ?