
L’avenir du clinicien
Volume 17
Partie 1
par Hélène Richard
Le prestige social de la psychanalyse s’effrite depuis plusieurs années déjà et le travail du clinicien s’en ressent au point où on peut se demander de quoi celui-ci sera fait dans un avenir prochain.
Installée dans les institutions du secteur public de santé durant la deuxième partie du XXe siècle par les administrateurs en poste à l’époque (voir Filigrane, 2001, vol 10, nos 1 et 2), occupant une place importante dans les programmes de formation des professionnels de la santé, la psychanalyse, idéalisée, n’a cependant pu répondre aux attentes ainsi créées. L’efficacité de sa pratique fut remise en question et la société postmoderne semble maintenant lui préférer les neurosciences, la thérapeutique médicamenteuse et les approches psychothérapiques promettant des résultats à plus court terme.
Pour la psychanalyse, l’actuelle réponse psychiatrique aux souffrances de l’individu clivé dans son Moi est, signe des temps, aussi fractionnée que ne l’est le Moi du patient : réduction du sujet à une série de symptômes qui commandent une prescription médicamenteuse statistiquement présélectionnée, puis aiguillage vers une série d’intervenants aux rôles cloisonnés. Ce fractionnement du traitement, réponse en miroir à l’éclatement des repères identificatoires traditionnels et partant, à la recrudescence des fêlures moïques, est rationalisé par des contingences économiques et une promesse d’efficacité à court terme.
Par ailleurs, coincé dans son éthique du sujet qui exige une offre d’écoute plutôt que d’intervention, le clinicien a souvent refusé de prendre la parole sur la place publique sur le virage des soins de santé, de même que sur les autres préoccupations sociétales qui agitent le monde actuel. On peut se demander s’il n’a pas, par cette abstention, lui-même contribué au désintéressement actuel face à la psychanalyse.
La salle d’attente du praticien de la cure type s’est donc lentement vidée. Celuici ne s’adonne à ce qu’il considère son véritable métier qu’à temps partiel maintenant. Il doit sortir de sa tour d’ivoire, utiliser aussi le « vil plomb » et se livrer à d’autres activités professionnelles pour assurer sa sécurité financière. Cet état des choses existe depuis plus d’une décennie, maintenant. Toutefois, le clinicien y a réagi de diverses façons qui font croire à Filigrane que la psychanalyse clinique n’a fait qu’adopter de nouveaux visages, qu’elle est toujours vivante et active. C’est le statut institutionnel du clinicien qui a changé, pas la vitalité de la psychanalyse clinique.
Aussi Filigrane a-t-elle proposé à ses auteurs, tâche troublante mais nécessaire, de réfléchir sur la théorie de la pratique clinique actuelle et veut, par ce dossier, interpeller le clinicien dans son transfert sur sa propre pratique clinique. Au nom de ses lecteurs, elle a donc posé aux auteurs, entre autres, les questions suivantes.
Les institutions du secteur public des soins de santé ont subi des réaménagements profonds qui affectent le travail quotidien du clinicien. Que fait-il maintenant de son aptitude à l’écoute de l’inconscient ? Quels sont ses rapports avec les nouvelles approches découlant des neurosciences ?
Quels sont les nouveaux visages de la psychanalyse clinique ? Quelles nouvelles modalités d’écoute de l’inconscient a pu développer le clinicien depuis la chute de popularité subie par la psychanalyse ? Y a-t-il lieu d’avancer, à l’instar de Green et de ses collaborateurs 2, que « la psychothérapie pratiquée par les psychanalystes n’appauvrit pas la psychanalyse, elle étend les limites de son champ, défini par son cadre » ? Comment rester à l’écoute d’une demande en composant avec les structures et règles du jeu en vigueur dans le secteur public ? Comment y parvenir sans entrer en compétition avec les collègues, praticiens d’une autre approche clinique réputée plus efficace ?
Ces questions, Filigrane a demandé aux auteurs de les développer, dans ce premier dossier 2008, à même le quotidien de leur pratique clinique, car c’est de cette même position que s’interroge son lectorat, qu’il est à l’affût de ressources de lucidité et d’inspiration.
Et les auteurs y ont répondu, à leur manière, de la façon suivante.
La situation critique dans laquelle se trouve aujourd’hui la psychologie et la psychopathologie cliniques inspire à René Kaës une réflexion qu’il expose en quatre volets. D’une part, la psychologie clinique n’est pas seulement menacée du dehors: elle est en crise dans sa consistance théorique, méthodologique et pratique. D’autre part, la psychologie clinique, notamment dans sa référence à la psychanalyse, suscite chez ceux qui la dénigrent la haine de la réalité psychique, de l’inconscient et de ses effets de subjectivité. Par ailleurs, il est urgent de constituer et d’enseigner une épistémologie historico-critique de notre discipline. Enfin, quatrième idée, l’extension des champs pratiques de la psychologie clinique exige quelques mesures concrètes, entre autres, l’anticipation de la demande sociale et une tentative de la formuler; d’autre part, l’élaboration de la formation des psychologues cliniciens dans une association synergétique entre les universités et les institutions professionnelles.
Marie Leclaire examine, pour sa part, la situation dans le monde hospitalier. Analysant les discours interprétant le déclin de la psychanalyse, puis la rhétorique entourant l’essor de la médecine fondée sur les données probantes, l’auteure propose qu’il faut voir dans ce changement bien plus qu’un simple mouvement de balancier entre des visions disparates de l’être humain et de la maladie mentale qui auraient coexisté historiquement. Dans le sillage de la psychanalyse, ce sont des pans entiers de la réalité clinique et humaine qui sont actuellement activement ignorés par les courants dominants en psychiatrie, pour des motifs plus consensuels que scientifiques. Selon l’auteure, cet état des choses est sous-tendu par une crise importante du jugement de réalité dans nos institutions.
Quant à Gilles Chagnon, il utilise sa double appartenance aux mondes de la psychiatrie et de la psychanalyse pour dresser un portrait lucide de ces milieux. Selon lui, la psychiatrie et la psychanalyse ont jadis cohabité dans une sorte de complémentarité. Mais à l’ère des données probantes et de l’« evidence based medecine », la psychanalyse se voit maintenant accusée d’être incapable d’offrir des résultats validés scientifiquement. Ses avancées cliniques, sa métapsychologie sont devenues suspectes. Pourtant, compte tenu de la complexité de l’appareil psychique, il demeure vital, selon l’auteur, d’utiliser une pluralité de modalités épistémologiques pour dynamiser les voies de recherche, tant sur les plans théorique que clinique. Il se demande comment, et à quelles conditions, poursuivre le dialogue qu’il juge toujours nécessaire entre psychiatrie et psychanalyse. C’est sur un tout autre registre de réflexion que nous convie Nathalie Zilkha. Au-delà des inquiétudes concernant l’avenir du clinicien, elle examine les résistances de ce dernier face à la psychanalyse, en particulier, la forme de résistance bien particulière que constitue l’idéalisation de la psychanalyse ou de l’institution psychanalytique. Pour l’auteure, l’avenir de la clinique psychanalytique se trouve dans la spécificité de l’écoute de la réalité psychique qu’elle permet et cela, dans la diversité de la pratique. L’avenir du clinicien engagerait, en effet, une psychanalyse tout à la fois rigoureuse dans ses références et dans son modèle de théorisation et plurielle dans ses dispositifs.
Enfin, Céline Masson a retenu de notre argumentaire la notion de temps. Dans son article, elle interroge donc le temps analytique et, plus précisément, le corps dans la séance d’analyse et ce qu’il implique d’une dimension temporelle. Cette création d’un lieu analytique est aussi, selon l’auteure, l’advenue d’un corps de présence, un corps s’incarnant dans le lieu de mémoire qu’inaugure le lieu de l’analyse. Lorsque des images surgissent dans le transfert, c’est une pulsation qui apparaît, un mouvement pulsionnel qui réactive ces images dans le temps. Les images fixes sont des images qui sidèrent, rendent difficiles la venue d’autres images et empêchent le mouvement de la pensée. Les images en mouvement créent du lieu en recréant du lien et l’analyste est ce corps en présence qui permet la désidération et la relance du désir par l’installation d’un cadre.
À nous de travailler à la sidération causée par la perte de prestige social de notre identité professionnelle et au recadrage de celle-ci.
Notes
1. Lire « psychanalyste, psychothérapeute psychanalytique, clinicien d’approche psychanalytique ».
2. A. Green et al, 2005, Argument du colloque « Unité et diversité des pratiques du psychanalyste » tenu à Paris les 14 et 15 janvier 2006.