Ce numéro thématique fait suite à un colloque organisé par la revue Filigrane sur le thème de la transmission de la psychanalyse. Ce thème a émergé de questionnements issus de différents milieux : des sociétés de psychanalyse qui se voient « vieillissantes », des universités dont la psychanalyse est trop souvent exclue, mais aussi, des jeunes cliniciens d’orientation psychanalytique remplis d’idée, de créativité – une jeunesse donc, tout sauf rétrograde. Un milieu en effervescence ou en déchéance que celui de la psychanalyse ?

L’argumentaire de ce colloque constitue le premier article du dossier, suivi par des articles issus des conférences de nos invités, soit Christine Anzieu-Premmereur, Réal Laperrière et Gabriela Legorreta. Dans un premier temps, Mme Anzieu-Premmereur témoigne de son parcours personnel, et de l’intégration de pans de la célèbre théorisation de son père dans sa pratique actuelle. Un second article aborde de façon plus concrète le travail réalisé à New York, un travail de formation auprès de psychothérapeutes, un exemple clé de l’intérêt de la psychanalyse pour la pratique de différents professionnels en milieu institutionnel. Ces deux textes s’appuient notamment sur une pratique très spécifique : le travail clinique auprès de la dyade mère-nourrisson.

Dans une perspective particulièrement didactique, Réal Laperrière reprend le concept de « capacité négative » proposé par Bion. Après l’avoir situé de façon théorique et métapsychologique, une question se pose : comment se transmet, au patient comme au thérapeute, cet élément fondamental de la pratique clinique psychanalytique ?

Finalement, Gabriela Legorreta aborde la transmission dans le cadre de la supervision. Au coeur non seulement de la formation mais aussi de la pratique des cliniciens d’orientation psychanalytique, l’auteure en déploie les différentes composantes et résultantes.

La psychanalyse, on le sait, demeure bien vivante dans certaines universités. La rubrique « Psychanalyse à l’université » en témoigne bien. Dans ce numéro, Nathalie Tissières et Irène Krymko-Bleton présentent les résultats d’une recherche doctorale portant sur le contre-transfert culturel. À une époque où les frontières entre pays et cultures s’estompent (ou d’un autre point de vue, se cristallisent…), le questionnement sur l’universalité d’« une » psychanalyse est bien sûr remis en chantier, et la place de la culture, plus spécifiquement la prise en compte de la diversité culturelle dans le dispositif d’évaluation et d’intervention des cliniciens, se pose de façon criante.

Le thème de la transmission aura particulièrement interpelé la relève, dans le domaine de la psychanalyse. En ce sens, la recension critique du récent ouvrage collectif « Des psychanalystes en séance. Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine » par Stephany Squires, témoigne de ce qui préoccupe la nouvelle génération de cliniciens d’orientation psychanalytique : la formation et ses lieux, bien sûr, mais aussi un certain décloisonnement entre institutions, voire des institutions, par les tenants de la « libre association ».

La rubrique « Bouquinerie » fait aussi place à une recension, par Jean- Baptiste Desveaux, du récent livre de Jean Imbeault : « L’analyse sur écoute ». Les lecteurs y découvriront l’expérience de la possibilité de revisiter (ou d’écouter) la trace auditive des séances. Les chercheurs (puisqu’il est question dans ce numéro de la présence de la psychanalyse à l’université) pourront y trouver des éléments de réflexion, quant à ce qui devient accessible par le travail en profondeur de la transcription de rencontres chercheur-sujet, dans certains dispositifs de recherche psychanalytique.

En terminant, dans la rubrique « Cinéma et psychanalyse », André Jacques – initiateur de cette rubrique – présente un commentaire du film Phoenix, sous l’angle de la notion d’identité. Du reste, ce film propose au spectateur le récit d’une forme de renaissance, où s’entremêlent le même (la continuité) et la différence (la rupture), à partir du conflit et du malentendu… métaphore du travail psychanalytique, certes, mais serait-ce aussi une heureuse façon d’envisager la situation actuelle de la psychanalyse ?

Le colloque de 2017 avait été organisé à la mémoire d’André Lussier, décédé un an plus tôt ; ce numéro thématique en est le complément. En 2018, un autre psychanalyste nous a quittés : Samuel Pereg. Dans la foulée de ce numéro et des questions qu’il pose sur les modalités de la transmission de la psychanalyse, en institution, dans l’intimité des cabinets privés et des rencontres de groupe, ou même à l’université, il nous a semblé que les hommages proposés par Marie Hazan, Louise Grenier et Isabelle Lasvergnas, trois collègues de Samuel Pereg, y trouveraient une place de choix. Une façon de ne pas oublier la transmission « hors les murs », « hors institution », et surtout, intègre, d’une pratique clinique toujours aussi vivante, en 2018. Ainsi se termine donc ce numéro hommage : hommage à d’incontournables psychanalystes d’ici.

Sophie Gilbert gilbert.sophie@uqam.ca

Ce numéro fait suite au numéro précédent consacré à « La terreur des enfants » (Filigrane, volume 26, numéro 1). Ce thème, qui a aussi fait l’objet d’un colloque à Montréal à l’automne 2016, se voulait d’abord une allusion au vécu de terreur des enfants victimes de violence ou de négligence. Mais de façon plus subtile, ce thème renvoie à la peur, parfois paralysante ou alors, source d’agirs, issue de la confrontation à la pulsionnalité infantile – en particulier la confrontation de l’adulte, du donneur de soin, et plus largement, de la société. Si le colloque a donné lieu à différentes figurations et élaborations autour de ce thème, il a aussi permis d’en faire ressortir certains éléments fondamentaux. Ce numéro s’amorce donc avec la deuxième et dernière partie de ce dossier, sous l’angle des fondamentaux psychanalytiques suivants : les interdits, le jeu, le traumatisme et la symbolisation.

Dans un premier temps, Maurice Berger nous amène à revisiter la question des interdits. À la suite d’un bref exposé sur les considérations sociétales relatives à ce concept, certains repères sur la fonction et la construction psychique de ceux-ci sont envisagés. Puis, l’auteur aborde, avec moult exemples, la référence aux interdits dans la pratique clinique auprès des enfants et de leurs parents.

Ce dossier s’achève avec une série de deux articles dans lesquels Miguel M. Terradas et ses collaborateurs abordent le travail psychanalytique par le jeu, dans le cas de trauma complexe chez l’enfant. Des réflexions théoriques amènent d’abord le lecteur sur la piste de l’exploration du travail de mentalisation exprimé dans le jeu d’enfant. Puis, l’article suivant est consacré à une riche présentation clinique de cas, illustrative de l’évolution clinique d’un enfant à partir du déploiement de fantasmes et d’angoisses par le jeu.

Par la suite, la rubrique Hétéros accueille un riche article de Nicolas Evzonas sur un thème trop rarement abordé de front en psychanalyse : la jalousie. L’auteur propose un dialogue entre psychanalyse et « clinique artistique » à partir d’œuvres littéraires, théâtrales et cinématographiques, afin de soutenir un vaste portrait de ce concept aux multiples facettes.

Le dialogue entre psychanalyse et cinématographie est ensuite ouvert différemment, dans notre nouvelle rubrique : « Psychanalyse et cinéma ». Dans celle-ci sont présentés des commentaires de films issus de l’activité Ciné-psy organisée régulièrement par l’Association des psychothérapeutes psychanalytiques du Québec (APPQ). Dans ce numéro sont publiés les commentaires de Martin Gauthier et de Louis Pinard, à partir, respectivement, des films « Phoenix » et « Eraserhead ».

Ce numéro se termine avec une présentation du livre « Lettres du divan », par Louise Grenier, directrice de publication de cet ouvrage collectif.

Sophie Gilbert

 

Après une brève introduction au thème de la « terreur des enfants », le dossier thématique s’amorce par deux articles tirés des présentations de conférenciers lors de notre colloque de l’automne 2016. En premier lieu, Maurice Berger aborde la violence exprimée par les adolescents, et surtout l’approche compréhensive développée au sein de son équipe de pédopsychiatrie. Sa vaste expérience clinique teinte son propos généreusement illustré, afin de présenter la pertinence de cibler le réinvestissement du fonctionnement intrapsychique auparavant voilé sous des agirs imposants. L’article de Sylvaine De Plaen témoigne aussi de l’ampleur de l’expérience clinique de l’auteure dans le domaine de la pédopsychiatrie. Toutefois,  les cas présentés sont ici précédés d’une réflexion anthropologique qui permet de penser autrement la violence et l’agressivité, en les resituant non seulement dans les aléas du développement psychique et du système familial, mais également dans les racines historiques de l’humanité. Par la suite, Nicolas Peraldi aborde les racines de la « terreur » des enfants, sous l’angle de la fine jonction entre les considérations sociétales et la constitution de la psyché. Et si les tentatives de « gérer » la pulsionnalité ne pouvaient que mener à certaines aberrations, telles que les cliniciens en discernent les traces dans la teneur de leurs consultations ? À se demander qui terrorise qui – dans ce désir de museler l’enfant et l’expression de son désir, sa souffrance, son euphorie, voire même, sa sexualité. Pour clore ce dossier, Sophia Koukoui propose une approche originale de la violence des adolescents. En effet, si les failles de la symbolisation ont souvent été pointées du doigt pour expliquer la prégnance des agirs, il demeure que la référence à la phénoménologie, en particulier celle de Ricoeur, est plus inhabituelle chez les cliniciens d’orientation psychanalytique. Une illustration de la pertinence du récit de soi dans le travail clinique convaincra le lecteur de l’intérêt de telles assises théoriques, à l’heure où la question du récit en psychanalyse est de plus en plus d’actualité.

La rubrique Hétéros fait place à un article d’Alexandre Francisco qui présente des concepts phares de la psychanalyse, dont la symbolisation, pour ensuite en illustrer le caractère heuristique. Le cas présenté avec détail et finesse offre une riche matrice de réflexion pour les cliniciens. Ce numéro se termine, dans la rubrique Psychanalyse à l’Université, par un article tiré d’une recherche clinique menée par Emilia Racca et Anne-Valérie Mazoyer. Il s’agit d’une étude de cas qui illustre certains enjeux inconscients relatifs au non désir d’enfant tels que notamment dévoilés par des supports projectifs.

Ce numéro de la revue Filigrane comporte la seconde partie de notre dos- sier consacré à la violence et au sujet. De nouveau, cette thématique fera place à une diversité d’auteurs et de points de vue sur ce large thème. En effet, les cliniciens ne peuvent faire abstraction de la culture et de l’époque dans lesquelles s’enracine leur pratique. L’omniprésence de la violence — au sein de certaines psychopathologies, de même qu’associée au contexte socio- culturel entourant celles-ci — a des répercussions sur leur travail clinique. Ce faisant, qu’il s’agisse de considérer les assises métapsychologiques de la violence et de revenir aux fondements constitutifs du sujet, ou à l’opposé, de prendre en compte les enjeux socioculturels et politiques dans lesquels s’inscrivent l’actualité d’une violence extrême et l’« homme nouveau » qui la révèle, le clinicien sera amené à remettre en chantier des savoirs sans cesse modelés par l’espace-temps dans lequel ils se déploient.

Le dossier thématique s’amorce par un article de Louis Brunet qui situe d’abord la violence en regard de ses assises développementales, du point de vue métapsychologique. Puis, l’auteur analyse différents cas de figure de la violence agie, de la criminalité locale au terrorisme à l’échelle mondiale.

Alexandre L’Archevêque et Élise Bourgois-Guérin abordent le second point d’ancrage de ce dossier, par une analyse à la fois sociétale et indivi- duelle du sujet. La réflexion des auteurs amène le lecteur à reconsidérer l’articulation corps-esprit dans la constitution du sujet, afin d’en arriver à cerner la posture de celui-ci dans la relation psychothérapique, notamment sous l’angle original de la « croyance ».

Les trois articles suivants témoignent d’expériences personnelles de cli- niciens sensibles, voire confrontés à la violence inhérente au terrorisme et aux conflits armés.

D’abord, Francis Maqueda nous convie ni plus ni moins qu’à un voyage humanitaire, clairement situé dans le mondialisme et la violence extrême qui caractérisent notre époque. L’exemple de la clinique des demandeurs d’asile amène l’auteur à discuter de la posture du clinicien et du réaménage- ment du dispositif, tous deux nécessaires à l’amorce d’un travail psychique dans le plus grand respect du sujet abîmé par l’ampleur (voire l’impensable) de la violence de l’autre.

Puis, dans un style très personnel, Anthony Bourgeault aborde la vio- lence à travers un récit qui évoque d’emblée l’associativité du monde oni- rique. Là où se rencontrent le sujet et sa pulsionnalité, l’œuvre de l’artiste, le climat planétaire de violence, l’auteur fait dialoguer une expérience sin- gulière avec la psychanalyse et la philosophie. Le lecteur est convié à une expérience de création, de l’ordre d’une rencontre intime avec l’auteur, au sortir de laquelle il demeure empreint d’un regard nouveau sur la violence, celle de l’autre, peut-être, mais vécue à travers soi.

Finalement, Daniel Lemler interpelle le lecteur, le clinicien concerné par la violence qui nous entoure, de façon plus proximale que jamais. L’urgence de se questionner et d’agir ressort du propos, lequel amène le lecteur à se sentir interpellé non seulement par la violence subie par l’autre, mais égale- ment par le devenir violent de l’autre, de soi.

Pour clore ce dossier, Robert C. Colin propose une typologie de la vio- lence « meurtrielle », cette violence destructrice, équivalente fantasmatique du meurtre. En contraste avec les auteurs précédents, c’est d’une violence discrète, parfois silencieuse, dont il est ici question. La description de cette violence est éclairée par des vignettes cliniques élaborées, de même que par des œuvres d’art classiques.

Trois articles constituent ensuite la rubrique Hétéros de ce numéro. Daniella Anguelli y aborde le contre-transfert dans une perspective à la fois historique et féminine (peut-être même, féministe). Puis, Sébastien Chapellon et Florian Houssier discutent des remaniements psychiques engendrés par l’immigration, dans une articulation entre considérations théoriques d’une part, et illustration par le récit de fiction d’autre part. Enfin, André Jacques présente une réflexion sur les liens entre cinéma et psychanalyse, sous l’angle du parallèle entre rêve et film, et surtout, en lien avec des soirées consacrées à la diffusion et la discussion psychanalytique d’œuvres cinématographiques.

Ce numéro thématique est issu d’un colloque de Filigrane (novembre 2015) intitulé Le sujet sacrifié ; violence dans la clinique. Nos auteurs abordent les concepts de violence et de sujet du point de vue psychanalytique, dans la perspective o. le clinicien se doit d’adopter une saine distance face . la violence qui s’insinue, de m.me que dans l’ensemble de la société, au coeur du cadre thérapeutique et de la rencontre inter-sujets qui s’y déploie. En ” mettant au travail ” cette violence, plutôt que de la nier ou de la faire sienne, en en cernant les tenants et les aboutissants, il semble que le clinicien serait notamment amené à l’intégrer à un travail véritablement thérapeutique et éthique avec les sujets qui le consultent. Répondant à l’argumentaire présenté en première partie de cette section thématique (Le sujet de la violence), les auteurs ci-dessous ont partagé au cours de ce colloque des réflexions issues de leur pratique clinique et de leur regard critique sur la société actuelle. Les différents articles proposés par Ghyslain Lévy s’organisent autour de l’hypothèse d’un principe d’indifférence considéré comme troisième principe aux fondements du fonctionnement psychique. En 1911, Freud avait distingué, dans ses formulations sur les deux principes du cours des évènements psychiques, un principe de plaisir-déplaisir et un principe de réalité Ne faudrait-il pas aujourd’hui s’interroger sur le primat d’un principe d’indifférence dont il s’agit d’avancer l’hypothèse au regard de l’importance d’une clinique de l’emprise qui s’origine, comme Freud le soulignait déjà, dans une forme d’indifférence envers l’objet et, plus globalement, envers le monde extérieur ? Un principe qui, au-delà. de la vie psychique singulière, s’étend aujourd’hui à l’ensemble, quand l’indifférence envers l’autre rejoint la simple annulation de son existence ? Un premier article de Ghyslain Lévy propose l’articulation de l’emprise actuelle du savoir technologique et de son pouvoir de mort. Il y est question de la place et du rôle à accorder à une pulsion cruelle qui, comme poussée d’emprise, vise la saisie de l’autre, son consentement passif, jusque dans ses formes fanatiques les plus régressives. Dans un second temps, l’auteur aborde, à partir de l’hypothèse du primat du principe d’indifférence, la question du transfert lorsque celui-ci se déploie dans une clinique de l’emprise et de l’auto-emprise. Dans un troisième temps, il s’agira pour lui de questionner le primat d’indifférence dans le contexte socioculturel comme condition de l’autosacrifice qui semble s’inscrire au coeur des nouvelles formes du sacré contemporain. Par la suite, Ellen Corin nous propose une élaboration sur la violence, située dans une fine intrication entre psyché et culture. Revenant à Freud et notamment à la pulsion de mort, l’auteure nous invite à considérer comment cette violence peut non seulement se discerner mais faire son oeuvre dans la clinique, dans la sphère collective notamment par le biais de l’image, puis sur la scène culturelle par les oeuvres écrites, et dans une diversité d’expressions artistiques, notamment par les arts visuels et la danse. Les propos de Ghyslain Lévy et d’Ellen Corin sont ensuite discutés au sein d’un texte de Laurence Branchereau, lequel amène le lecteur à situer à la fois les convergences et les divergences des propos. Par une réflexion au plus proche des points saillants de ces articles, Laurence Branchereau tend à soulever la complémentarité de la pensée de ces auteurs. En conclusion de ce dossier, l’articulation entre la violence et le sujet est abordée par Alexandre L’Archevêque et Élise Bourgeois-Guérin. La perspective des auteurs, fortement ancrée dans les différents constituants du cadre de la consultation clinique (la demande, la dynamique transférentielle, etc.), offre un point de vue complémentaire aux propos des auteurs précédents. En effet, la donne culturelle y constitue la toile de fond d’une élaboration aux multiples ancrages sur la violence inhérente au sujet, dans son rapport à lui-même, comme à l’autre incluant ici le clinicien. Finalement, l’article d’Emmanuel Piché offre au lecteur un approfondissement métapsychologique des réflexions d’Alexandre L’Archevêque et d’Élise Bourgeois-Guérin. Dans la mouvance de la clinique contemporaine, les questionnements soulevés par l’auteur sauront alimenter la réflexion des cliniciens sur l’inscription de la violence dans la rencontre de consultants considérés comme sujets à part entière.

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La seconde partie de ce numéro se déploie essentiellement autour de la pensée de Catherine Chabert. Plus précisément, quatre textes abordent la thématique du féminin, sous l’angle de la bisexualité et de la différence des sexes. En premier lieu, à la suite du passage de Catherine Chabert à Québec, en octobre 2015 à titre d’invitée de la Société psychanalytique de Québec, nous avons le plaisir de publier non seulement le texte de sa conférence, mais également le commentaire de celle-ci tel que rédigé par Louise Mercier. Puis, la réflexion inhérente à ces articles se poursuit et est habilement contextualisée dans une entrevue que Catherine Chabert a bien voulu accorder à Filigrane, par l’intermédiaire de Louise Mercier. Finalement, thème incontournable de ses récents écrits, la bisexualité psychique sera également abordée par Lise Marceau, dans une lecture critique du livre de Catherine Chabert intitulé Bisexualité et différence des sexes, au sein de notre rubrique Bouquinerie. Cette recension fut également présentée dans le cadre de la journée clinique organisée par la Société psychanalytique de Québec. Ce numéro de Filigrane se termine par notre rubrique  “Psychanalyse à l’université ” ; Anaëlle Bazire et Nadine Proia-Lelouey y présentent les résultats d’une recherche clinique menée auprès de femmes enceintes toxicomanes. Il en ressort des considérations importantes pour les cliniciens appelés à travailler auprès de ces femmes aux prises avec des conflictualités psychiques trop souvent voilées sous l’ampleur des symptômes et la réalité de la naissance à venir.

Didier Drieu

Sophie Gilbert

Après un colloque organisé à Caen, en France, intitulé « Fondamentaux de la clinique institutionnelle, les mutations entre hier et aujourd’hui », ainsi que la publication de deux ouvrages collectifs (46 commentaires de textes fondamentaux sur la clinique institutionnelle et Violence et institutions), nous avons répondu à l’invitation de Filigrane de contribuer à la thématique de ses derniers numéros, soit le devenir de la psychanalyse, et ce, sous l’angle spécifique de l’actualité des pratiques institutionnelles actuelles et de l’héritage à partir duquel celles-ci se sont élaborées.

Dans les écrits préalables au colloque, nous revenions sur l’importance de la psychanalyse comme référence majeure dans la mise en place du mouvement institutionnel de l’après-guerre, en parallèle à un engagement sociopolitique et au croisement de pratiques s’appuyant sur les apports spécifiques des sciences humaines (incluant la psychanalyse, mais aussi divers courants de la psychiatrie, l’anthropologie, la philosophie phénoménologique). En témoigne l’expérience de Tosquelles, le fondateur du courant de la psychothérapie institutionnelle qui, après Pinel et Simond, réinvente une forme de désaliénation en associant les patients et le collectif soignant pour penser le soin dans la quotidienneté. Certaines conditions se discernent, afin que l’institution devienne thérapeutique en elle-même : un climat collectif soutenant la fonction d’accueil, la qualité phorique du travail des soignants (observations et mise en sens) et une réflexion sur la constellation transférentielle dans laquelle se retrouvent soignants et patients.

Ce mouvement s’étendra au-delà des projets menés dans quelques lieux phares. À l’époque, beaucoup de psychiatres sont aussi psychanalystes et, notamment avec les infirmiers et les psychologues, ils vont tenter d’articuler plusieurs registres complémentaires tels que le soin, le thérapeutique, l’éducatif et la réhabilitation psychosociale. En découlera l’expérience de la sectorisation sous-tendue non pas par la transformation de l’institution (ou de l’organisation) comme dans la psychothérapie institutionnelle, mais plutôt par une présence active des soignants dans l’accueil, au sein de l’établissement et dans l’environnement des patients. Plus encore, il s’agit de construire des alternatives à l’internalisation, considérant que l’hospitalisation de longue durée induit certaines formes de chronicisation. L’objectif est d’ouvrir sur le dedans et le dehors, en instituant des repères dans l’accompagnement des patients dans les différentes phases du soin. Ces démarches ont été initiées par des psychanalystes comme R. Diatkine, S. Lebovici, puis P.-C. Racamier en France, et d’autres comme M. Lemay à Montréal.

Toutefois, cet « esprit du soin » sera contré par des résistances internes à la politique de sectorisation (clivages entre les équipes dans les institutions, alliances défensives entre les médecins, les équipes et l’administration), et plus particulièrement aujourd’hui, par la réticence face aux profondes mutations dans l’organisation de la tâche et de la professionnalité des intervenants. L’important bouleversement actuel des pratiques découle de l’emphase sur la gestion des prestations aux dépens du travail du collectif, et de l’accent mis sur les procédures d’évaluation des risques aux dépens du projet.

Du reste, certaines  analyses de ces transformations ou mutations ont su se développer ; elles s’inspirent à la fois des travaux de la psychosociologie (tels ceux de E. Enriquez) et de la psychanalyse, ce dont témoigne la référence aux théories de l’intersubjectivité (initiées par Winnicott et Bion) et à l’analyse de groupe (tels que ceux de D. Anzieu, J. C. Rouchy et R. Kaës). En particulier, les travaux de Kaës, à qui l’on doit la conceptualisation d’une réflexion sur « les effets de l’inconscient dans les institutions » (1988) – incluant les institutions  soignantes, éducatives et les sociétés de psychanalyse –, se sont avérés porteurs. À la lumière de ces théories, il s’agit de penser les nouages et/ou les espaces traumatiques qui provoquent la déliaison dans les institutions. Cette négativité se dévoile brusquement par les « souffrances » des équipes et des professionnels dans leur exercice clinique. Il y a alors nécessité de « pouvoir analyser la manière dont la clinique peut se trouver organisée (ou souvent malheureusement désorganisée) dans ses différents registres processuels au sein des institutions » (Drieu et al., 2013).

En référence à la psychanalyse, il s’avère possible de considérer les différents espaces psychiques impliqués, incluant la singularité de chaque acteur, mais aussi la dynamique des liens (intersubjectivité), celle du groupe, voire même de la culture (le domaine du transsubjectif), car « selon les cas, les problématiques peuvent concerner les enjeux de la fondation (le projet, l’histoire des origines à la refondation par des nouvelles directions), la fonction accueil et les rapports aux sujets accueillis, les professionnels dans leur rapport à leurs statuts et leurs fonctions mais aussi les rapports à l’organisation, de plus en plus marquée par un fonctionnement procédural qui semble prendre la place des hiérarchies pyramidales d’autrefois » (Ibid.). Ainsi, l’avenir de la psychanalyse au sein des pratiques institutionnelles serait tributaire d’un mouvement d’extension par rapport à son objet initial, l’intrapsychique, et de la fondation, comme nous y invite R. Kaës (2010), d’une nouvelle approche « métapsychologique des espaces coordonnés ».

Notre dossier s’ouvre donc sur l’actualité de la clinique institutionnelle en France. Didier Drieu et Pascal Crété insistent sur la fonction de l’accueil, dans le travail clinique institutionnel, qui doit pouvoir être porté par le collectif soignant. En ce sens, il est essentiel de développer la dimension phorique (observations/élaboration dans le partage/transformation) de ces collectifs, un travail souvent mis à mal de nos jours, puisque peu soutenu dans son architecture (ses méta-cadres) par l’organisation institutionnelle.

L’article de Jean-Yves Chagnon, qui porte sur le 13ème arrondissement, retrace l’histoire particulière de la naissance de la pédopsychiatrie française dans les années d’après-guerre. En suivant l’itinéraire particulier de R. Diatkine, le lecteur est invité à redécouvrir les repères soutenant l’accueil et les médiations thérapeutiques dans les centres de jour pour enfants.  Comment soutenir, par la présence soignante, le plaisir d’investir, de « désirer », ou même de « fonctionner », là où règne chez l’enfant le désinvestissement voire l’inhibition ? Cette question est particulièrement prégnante au moment où la pédopsychiatrie, en France comme au Québec, est de plus en plus ébranlée dans ses fondations (emphase sur l’expertise) et débordée par des demandes de soins psychiques adressées dans l’urgence.

Dans la lignée de l’expérience du 13e arrondissement, Guillemette Balsan témoigne de l’apport de la psychanalyse dans les prises en charges hospitalières d’adolescents. Initiés par H. Flavigy, les soins psychiatriques à l’Institut Mutualiste Montsouris auprès d’adolescents souffrant de troubles du comportement alimentaire s’inspirent de la psychanalyse, en particulier d’une métapsychologie des processus psychiques propres à l’adolescence. À la lumière du processus de séparation/différenciation, l’auteur prône l’importance d’une prise en charge plurifocale. Cependant, en ce qui concerne les patients anorexiques cachectiques, il va de plus en plus s’inspirer des théories de l’attachement et de la mentalisation. Puis, l’auteur évoque la possibilité d’accueillir l’informe et de travailler à la réanimation des auto-érotismes dans une forme de compagnonnage institutionnel.

Dans un autre contexte, celui du Brésil, Laís Macêdo Vilas Boas, Deise Matos Do Amparo, Sandra Francesca Conte de Almeida et Katia Cristina Tarouquella R. Brasil. abordent la clinique des adolescents en conflit avec la loi sous l’angle de dispositifs d’intervention savamment articulés entre des psychanalystes, des étudiants et des éducateurs. Il s’agit de repenser le cadre d’intervention dans ses fondements, afin de permettre une élaboration de l’angoisse de l’adolescent. S’appuyant sur les notions de demande, de dynamique transférentielle, de cadre, et de symbolisation, les auteurs présentent un cas clinique richement documenté illustrant les aléas du travail psychanalytique en institution auprès d’adolescents ayant manifesté des agirs violents. Pour l’analyste, s’il faut tenir compte de la demande sociale, incluant celle de l’institution, il faut aussi pouvoir s’en différencier en impliquant le sujet adolescent dans ses actes, son discours, voire son désir.

Julie Achim et Miguel Terradas, en proposant une réflexion sur l’apport de la mentalisation dans la pratique clinique en pédopsychiatrie, prolongent cette élaboration sur le devenir de la psychanalyse dans la clinique institutionnelle. Plus précisément, les auteurs s’intéressent aux enfants et/ou adolescents repliés dans des troubles des conduites ou des agirs, de même qu’aux problèmes posés par la ré-organisation des soins, provoquant des risques d’escalade dans la médication aux dépens du travail thérapeutique. Ils proposent de réviser les pratiques cliniques de façon à établir, auprès des intervenants, des repères quant aux capacités de mentalisation et d’autorégulation.. Ce faisant, il s’agit de mieux évaluer les difficultés et les ressources des enfants et des parents, afin d’orienter le travail thérapeutique et de les amener à s’intéresser tant à leur monde interne qu’à celui d’autrui.

Nadine Proia-Lelouey dans son article sur l’actualité de la psychanalyse  dans l’institution du soin, nous invite à questionner la place de la psychanalyse et par extension, les conséquences de celle-ci sur les dispositifs cliniques. Selon l’auteure, la postmodernité et l’hypermodernité provoqueraient de nouveaux paradoxes articulés entre permissivité et responsabilité, ainsi que de nouvelles formes de malêtre suscitant une psychologisation des souffrances sociales. En lien avec le passage de la psychiatrie à la santé mentale, l’institution de soins et les cliniciens risquent de devenir porteurs de nouvelles figures de régulation et de contrôle social. La psychanalyse pourrait résister à ces nouvelles normes à condition de créer des dispositifs propres à étayer un travail d’appropriation subjective.

Reprenant le questionnement sur les mutations dans les institutions et les nouvelles formes de souffrances psychiques, Jean Pierre Pinel, à partir du modèle de Jean Claude Rouchy, expose de manière synthétique la méthodologie des dispositifs d’intervention clinique en institution. Le dispositif doit s’instaurer à distance du cadre institutionnel habituel et être déterminé par l’analyste (sans pour autant être préfabriqué), de façon à ce que s’opère une forme de métabolisation des différentes réalités psychiques: celle du professionnel dans sa singularité, celle des équipes de travail et celle de l’institution. L’analyste est pris dans des mouvements transférentiels puissants qui vont l’assigner à différentes places comme celle de plus en plus fréquente de « répondant institutionnel », ce qui doit le conduire à un travail sur le méta-cadre avec ses collègues en intervision. Au préalable, il s’agira de bien différencier, dans les demandes qui peuvent être adressées aux intervenants cliniciens, les différentes méthodologies d’intervention, afin de proposer le cadre le plus adéquat pour résister au mieux à la déliaison, et parfois même, au chaos.

Enfin, pour clore ce dossier, nous accueillons la contribution de Vincent Cardinal qui expose la situation de la psychanalyse en institution au Québec, plus précisément dans un service de deuxième ligne adressé aux enfants, aux adolescents et aux familles. Après avoir remis en contexte socioculturel la situation des institutions de soins en santé mentale, et particulièrement, les contraintes imposées aux psychothérapeutes d’orientation psychanalytique, son propos complète  les initiatives inspirantes et d’outre-mer qui auront constitué le corps de ce dossier.