À la question de savoir comment l’analyse peut répondre à la contrainte sociale qui refuse les limites et l’endeuillement, l’auteur cherche des réponses dans la complexité de la pensée analytique et dans la diversité des démarches analytiques. Se pose inévitablement aussi la question de la résistance des cliniciens eux-mêmes en lien avec les avatars de leur travail personnel, notamment la résistance liée à l’idéalisation de l’analyse ou d’une pensée analytique. Celle-ci ne manque pas de figer la pratique et la pensée psychanalytiques.

La psychiatrie et la psychanalyse ont jadis cohabité dans une sorte de complémentarité. À l’ère des données probantes et de l’« evidence based medecine », la psychanalyse se voit maintenant accusée d’être incapable d’offrir des résultats validés scientifiquement. Ses avancées cliniques, sa métapsychologie sont devenues suspectes. Pourtant, compte tenu de la complexité de l’appareil psychique, il demeure vital d’utiliser une pluralité de modalités épistémologiques pour dynamiser les voies de recherche, tant sur le plan théorique que clinique. Comment, et à quelles conditions, poursuivre le dialogue toujours nécessaire entre psychiatrie et psychanalyse ?

Alors que la psychanalyse, comme théorie et comme pratique, disparait tranquillement des institutions au Québec, on voit s’y développer et s’affirmer une pratique médicale décisionnaire et consensuelle fondée sur les données probantes. Analysant les discours interprétant le déclin de la psychanalyse, puis la rhétorique entourant l’essor de la médecine fondée sur les données probantes, l’auteure propose qu’il faut voit dans ce changement bien plus qu’un simple mouvement de balancier entre des visions disparates de l’être humain et de la maladie mentale qui auraient coexisté historiquement. Dans le sillage de la psychanalyse, ce sont des pans entiers de la réalité clinique et humaine qui sont actuellement activement ignorés par les courants dominants en psychiatrie, pour des motifs plus consensuels que scientifiques. Selon l’auteure, cet état des choses est sous-tendu par une crise importante du jugement de réalité dans nos institutions.

La situation critique dans laquelle se trouve aujourd’hui la psychologie et la psychopathologie cliniques inspire à l’auteur quelques réflexions à partir de son expérience d’ancien professeur de cette discipline. Il expose quatre idées : 1°) la psychologie clinique n’est pas seulement menacée du dehors : elle est en crise dans sa consistance théorique, méthodologique et pratique. 2°) La psychologie clinique, notamment dans sa référence à la psychanalyse, suscite chez ceux qui la dénigrent, la haine de la réalité psychique, de l’inconscient et de ses effets de subjectivité. 3°) Il est urgent de constituer et d’enseigner une épistémologie historico-critique de notre discipline. 4°) L’extension des champs pratiques de la psychologie clinique exige quelques mesures concrètes : anticiper la demande sociale et contribuer à la formuler ; assurer la formation des psychologues cliniciens dans une association synergétique entre les universités et les institutions professionnelles.

Le contexte social actuel conteste au clinicien les étayages professionnels qui définissent sa pertinence. L’effraction d’une culture qui surinvestit la dimension du public dans le domaine privé de la cure subvertit cet espace aux fins de l’assimiler. Il s’agirait là d’une forme renouvelée de la résistance à la psychanalyse qui met en cause de façon élective les garanties identificatoires minimales nécessaires à l’analyste dans son exercice. Le corpus métapsychologique dans son développement est exemplaire de l’exigence de travail à laquelle le clinicien est soumis aux fins de réinventer les termes de son adhésion au postulat fondamental de la psychanalyse. C’est la possibilité de soutenir cette exigence « scientifique » qui procure au clinicien les assises personnelles requises pour soutenir sa fonction clinique. « Totem et Tabou » est utilisé pour illustrer la démarche épistémologique propre à la psychanalyse, son développement et les progrès théoriques et techniques qu’elle rend possibles.

Cet article est une invitation à réfléchir sur les manifestations de la résistance et du dogmatisme à la fois chez les cliniciens et dans les politiques de santé mentale. Le propos met en évidence les répercussions de ces manifestations qui influencent le clinicien d’orientation psychodynamique. Il énonce les collusions possibles avec l’idéologie ambiante caractérisée par les impératifs économiques et les impératifs d’intégration sociale. L’auteure souligne l’hétérogénéité entre l’approche analytique et celles qui se veulent scientifiques d’inspiration positiviste, tentant ainsi de montrer l’incompatibilité des finalités poursuivies. À partir de ces constats, l’avenir du clinicien d’orientation analytique se concevrait par l’affirmation de son identité en phase avec l’héritage subversif de la psychanalyse et par l’obligation de rendre compte de son travail dans le social.