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Argumentaire colloque 2017, numéros thématiques 2018

La revue Filigrane existe depuis 25 ans cette année. Lieu de partage du savoir clinique, lieu de partage, aussi, entre différentes disciplines qui, si elles ne sont pas « connexes » per se, peuvent à tout le s’enrichir mutuellement de certaines résonances dans leur vision du sujet humain (pensons à la littérature, aux arts visuels, etc.).

Filigrane est d’abord un lieu de transmission. Au sens d’un espace pour l’échange, la réflexion, la discussion et parfois même, la confrontation, ayant pour socle la pratique clinique psychanalytique. C’est pourquoi cet anniversaire nous apparaît constituer un moment propice pour élaborer une réflexion sur cette large question : la transmission de la psychanalyse. Les colloques désormais annuels, et les pages papiers ou numériques, témoignent aisément d’un volet de ce concept : si l’on y retrouve des articles rédigés par des cliniciens d’expérience, l’ancrage universitaire de la revue et la place accordée dans ses pages et au sein de ses colloques aux étudiants, aux cliniciens en formation, et à la relève, marquent cette volonté de transmettre, au sens de garder vivant dans une trajectoire évolutive. Car dans son étymologie, rappelons-le, le verbe transmettre se réfère à un « audelà » (et pas seulement à la conservation – potentiellement mortifère – du même).

La transmission de la psychanalyse est un thème (un problème?) d’actualité. La psychanalyse est morte, nous dit-on. Elle est morte parce que trop longue, coûteuse, machiste, insuffisamment « scientifique » (entendre : « non soutenue par des données probantes »), et j’en passe! Par ailleurs, l’approche « psychodynamique », reconnue par l’Ordre des psychologues du Québec, pourrait bien servir à faire accepter une approche jugée dépassée, aux yeux du « public », lui-même à l’affût des blogues et autres « informations » ponctuelles (entendre : non élaborées) qui circulent à la vitesse de la lumière dans nos sociétés occidentales.

Et pourtant… la psychanalyse se transmet. Elle est pratiquée non seulement par des psychanalystes, mais guide la pratique de cliniciens d’orientation psychanalytique, de psychodynamiciens, et même, de quelques psys « éclectiques ». Elle est enseignée dans les départements de psychologie, au point où encore aujourd’hui, en Europe, la « psychologie clinique » intègre d’emblée les fondements théoriques de la psychanalyse. De plus, les nouvelles « vagues » de la TCC reprendront certains concepts fondamentaux de la psychanalyse (en référence aux relations précoces), de même que les psychothérapies gestaltistes intègreront la notion de relation d’objet.

Si la psychanalyse n’est pas du tout moribonde, reste que sa place n’est jamais acquise. Pourquoi n’y a-t-il que peu d’auteurs, dans ce domaine, au Québec? Pourquoi sa place à l’université est-elle si peu remarquée? Mais surtout, pourquoi les cliniciens ne se sentent-ils pas suffisamment légitimés, pour la plupart, de revendiquer cette approche et ce que celle-ci implique dans leurs institutions : lieux de supervision, analyse du transfert et du contretransfert, au-delà du symptôme et du diagnostic (sur)descriptif et symptomatique – dans les deux sens du terme? Pourquoi encore aujourd’hui autant de conflits entre institutions, plutôt qu’une lutte convergente pour faire en sorte que du heurt de la rencontre entre 2 différents points de vue puisse éclore un big bang heuristique, plutôt qu’un suicide collectif? S’agirait-il ici de symptômes d’une discipline en mal de transmission?

La question que Filigrane pose se résumerait donc ainsi : en 2017, quelle place pour (et quel est le sens de) l’enseignement de la psychanalyse? Quels lieux de transmission et quelles collaborations entre ceux-ci? Et plus précisément pour les cliniciens : comment concevoir que la pratique quotidienne puisse être nourrie et de ce fait, évoluer dans une perspective psychanalytique ?

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À une époque où la psychanalyse est régulièrement malmenée, dans le public comme dans les institutions, l’on ne peut que, humblement, mettre en cause les modalités de cette transmission parmi les principaux intéressés. Impossible, donc, de passer sous silence les différends, voire les conflits ouverts, encore d’actualité, sur les modalités de la formation des psychanalystes. Tant d’associations, au sens large, ont été heurtées ou même carrément divisées par des enjeux relatifs à la formation. Aujourd’hui encore, plusieurs interrogations demeurent, relatives à la place de la supervision, la qualification et le rôle des superviseurs ou des titulaires, les liens potentiels avec l’université.

En effet, face à la multiplicité des théories psychanalytiques, la formation des psychanalystes n’est pas sans poser question. De ce fait, la transmission inhérente à l’analyse personnelle pourrait-elle dépasser une approche consensuelle et s’apparenter à une prise de position, au moins théorique (Green, 1992)? Quel est le poids de l’idéalisation dans ce processus : idéalisation de l’analyste, du superviseur, voire de l’association d’appartenance? Ce qui peut ramener, comme le fait si bien Green, à la place de la théorie. Et en complément, la place de la démarche de « recherche » au sein de celle-ci, de l’enseignement et surtout, de la participation à des séminaires (Kernberg, 2002) pour non seulement transmettre, mais accepter qu’un savoir soit repris, réinvesti, mis en chantier; pour qu’il puisse évoluer, de même que les cliniciens qui en sont porteurs.

« La théorie ne s’enseigne pas, elle se transmet » (Green, 1992, p. 512). En ce sens, quelle place pour la psychanalyse à l’université, lieu d’ « enseignement »? Freud lui-même, nous rappelle Green, associait l’enseignement de la psychanalyse à une multitude d’autres approches… à commencer par la médecine. S’agirait-il, en termes d’enseignement, d’ouvrir la voie, dans la formation à la psychanalyse, à la culture générale du clinicien, qui engloberait – peut-être plus que la psychiatrie, la neurologie et la psychologie au sens large – d’autres domaines tels la philosophie, la littérature et l’anthropologie (Green, 1992)?

Et l’ « Enseignement » (avec une majuscule) de Lacan, de quelle transmission est-il porteur? Il est vrai que la transmission évoquera surtout, pour certains, le retour aux fondements, voire aux textes fondateurs : Freud et Lacan auront en ce sens, été revisités un nombre incalculable de fois au fil des décennies et ce, de façon plus ou moins critique, plus ou moins dogmatique aussi. Reste que ce besoin de revenir au fondateur, à son histoire et donc, aux fondements de la psychanalyse, persiste, encore à ce jour. En ce sens, la démarche d’Élisabeth Roudinesco est évocatrice, si l’on considère que très récemment, il y avait encore à dire sur l’histoire du « père de la psychanalyse » (Roudinesco, 2014). De l’Enseignement de Lacan à la figure du Père de la psychanalyse, à notre époque et dans une culture où l’autorité fait bien piètre figure, n’y a-t-il pas risque d’une mise à mort ou d’un parricide qui, s’il s’avère porteur dans le registre du fantasme, pourrait bien soutenir le chaos lorsqu’agi? Comment respecter ses aînés, le savoir de la sagesse – tel que plusieurs cultures le valorisent encore aujourd’hui – et malgré tout faire en sorte que le savoir évolue, qu’il s’articule sans cesse avec les changements inhérents aux sujets qu’il concerne?

Dans un autre ordre d’idées, il s’agira d’abord, pour certains cliniciens, de faire évoluer la pratique, les           « dispositifs » (Mellier, 2006) au regard des nouveaux défis que représentent la population et les psychopathologies qui interrogent le savoir des cliniciens. Toute une autre voie s’ouvre dès lors, d’une part, en lien avec la place de la psychanalyse « hors les murs ». Plus spécifiquement, la perspective d’une théorie, d’un savoir, et d’une pratique qui pourraient influencer certains praticiens, même si ceux-ci s’inscrivent dans un milieu ou la prégnance des enjeux conscients pousse à faire fi des enjeux inconscients. Certains de nos travaux s’inscrivent d’ailleurs dans cette perspective, là où les problématiques psychosociales côtoient les interventions communautaires (voir par exemple, Gilbert et Lussier, 2013).

Si cette large question de la transmission a régulièrement été posée – en regard de Freud ou de Lacan, ou alors, sous le thème de la place et de la valeur des différentes institutions psychanalytiques, des modalités de la formation et de la reconnaissance de la légitimité des cliniciens et des psychanalystes –, avec moult conflits par ailleurs, c’est sans doute qu’elle engendre une pluralité de réponses.

Dans les numéros thématiques de 2018, précédés du colloque d’automne en 2017, il sera donc question de transmission, des voies de celle-ci, incarnées par différentes voix. L’attention sera portée à la diversité des lieux et modalités de la transmission, et à la valeur de celle-ci, pour qu’une approche non seulement perdure mais évolue.

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Filigrane souhaite dédier le colloque de 2017 et les numéros thématiques de 2018 à la mémoire d’André Lussier. André Lussier, qui nous a quitté récemment, a marqué le parcours, directement ou indirectement, d’une multitude de cliniciens québécois d’aujourd’hui. De par son enseignement remarqué à l’Université de Montréal, bien sûr, mais aussi, de par la passation outre-mer d’un savoir qui auparavant, peinait à franchir l’Atlantique, du moins, vers l’embouchure du St-Laurent. Figure remarquée à la SPM, il a su allier une pensée toujours en mouvement au plan de la théorie psychanalytique, avec un souci du bassin socioculturel dans lequel évolue tout sujet. Soucieux de transmettre, de partager, mais aussi de discuter de ses idées, il aura laissé derrière lui cette notion de la nécessaire affirmation, puis confrontation des idées, afin d’éviter l’enfermement et la 4 menace de nécrose toujours présente lorsque la réflexivité et la remise en question se voient contrecarrées.

André Lussier a laissé une descendance. Une large descendance dont certains transmettent comme professeurs, d’autres comme superviseurs, d’autres comme cliniciens. En ce qui me concerne, sa thèse de doctorat aura fondé l’argumentation de ma propre thèse, laquelle portait notamment sur l’ « idéal » et la projection dans le futur…

Sophie Gilbert
gilbert.sophie@uqam.ca

Quelques références (et inspirations)

Gilbert, S. et Lussier, V. (2013). Le génogramme libre au service de l’élaboration auprès de jeunes parents à risque de maltraitance envers leurs enfants. Le divan familial, no. 31, 195- 210.

Green, A. (1992). Préalables à une discussion sur la fonction de la théorie dans la formation psychanalytique. Revue française de psychanalyse, 56(2), 507-514.

Kernberg, O. F. (2002). La formation psychanalytique : quelques préoccupations. Revue française de psychanalyse, 66(1), 227-251.

Lussier, A. (1992). Notre idéologie de formation. Revue française de psychanalyse, 56(2), 483-487.

Mellier, D. (2006) Précarité psychique et dispositifs d’intervention clinique. Pratiques psychologiques, 12(12), 145-155.

Roudinesco, E. (2014). Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre. Paris : Seuil